Lost in process
Dans une discussion passionnée avec Alain Hubert et Abderrahim Chafik du Pôle Développement des Usages Innovants au sein du Service Public de Wallonie (SPW Digital), nous avons exploré les fondements, les défis et les perspectives de l’innovation dans le service public.
Les Clés de l’Innovation dans le Service Public.
par Nido
C’est quoi l’innovation pour vous ?
Alain : L’innovation représente une approche alternative pour résoudre les problèmes. Dans le contexte du service public, cela implique de se concentrer sur les besoins des citoyens, des agents du service public et des entreprises. L’innovation nécessite également de prendre des risques et d’adopter des pratiques inhabituelles, telles que l’intelligence collective, tout en surmontant les obstacles organisationnels et hiérarchiques.
Abderrahim : L’innovation peut prendre différentes formes, notamment en améliorant les produits, les services et l’organisation. L’objectif principal est de trouver des solutions pertinentes et originales pour répondre aux besoins des utilisateurs, en créant de la valeur pour plusieurs services. C’est important d’oser et de décloisonner, en prenant des risques et en sortant des schémas habituels pour aborder les problèmes.
C’est important d’oser et de décloisonner, en prenant des risques et en sortant des schémas habituels pour aborder les problèmes.
Quels sont les moteurs et les obstacles à l’innovation dans le secteur public ?
Alain : Pour moi, le moteur principal de l’innovation réside dans la conviction profonde de servir les citoyens et de répondre aux besoins des usagers. Cette mission fondamentale est le cœur même de l’action publique et constitue un catalyseur puissant pour stimuler l’innovation. Il est nécessaire pour le service public de donner l’exemple et de rester en phase avec les attentes des citoyens.
Abderrahim : Pour moi, il y a plusieurs obstacles significatifs qui entravent souvent la capacité d’innover dans le secteur public. L’un des principaux obstacles est la complexité des procédures et des réglementations qui régissent les activités administratives. Cette multitude de règles peut parfois éclipser le sens premier de l’action publique, entraînant une focalisation excessive sur les processus (« Lost in process »)plutôt que sur les résultats et les besoins des usagers. Il y a un certain confort dans le respect des réglementations existantes, et les agents peuvent se retrouver bloqués dans leurs pratiques par un attachement excessif aux règles établies.
Alain: Il y a clairement des cloisonnements internes au sein du service public qui sont un obstacle majeur à l’innovation. Les fonctionnaires peuvent se sentir enfermés dans des schémas préétablis, qui limitent ainsi leur capacité à explorer de nouvelles idées et à collaborer efficacement. Le manque de culture de l’échange et de la collaboration avec l’extérieur est un défi supplémentaire à surmonter. Les échanges entre institutions et avec des partenaires externes sont souvent rares dans le service public, ce qui limite les opportunités d’apprentissage et d’inspiration.
Abderrahim : Il est important de surmonter ces obstacles pour favoriser un environnement propice à l’innovation dans le secteur public. Il nous faut avoir une réflexion critique sur les pratiques existantes, une simplification des procédures et des réglementations, ainsi qu’une culture de collaboration et d’échange plus forte, à la fois au sein des institutions publiques et avec des acteurs externes. C’est en surmontant ces défis, que le secteur public peut pleinement réaliser son potentiel d’innovation et répondre de manière plus efficace aux besoins changeants de la société.
Nous avons aussi besoin d’un management de l’innovation, composé de personnes qui comprennent les enjeux et le potentiel de l’innovation.
Quels sont selon vous les bons exemples d’initiatives innovantes ?
Alain : Cela dépend de la perspective prise, car il y a une diversité d’interprétations de l’innovation selon les contextes et les perspectives individuelles. Le premier exemple qui me vient tête concerne un projet de déménagement impliquant plus de 1000 collaborateurs répartis sur plusieurs sites physiques. Ce projet a nécessité une préparation minutieuse et une stratégie immobilière visant à rationaliser les ressources tout en favorisant une meilleure collaboration entre les équipes. Une approche innovante a été adoptée en utilisant la réalité virtuelle pour aider les collaborateurs à visualiser leur nouvel environnement de travail, ce qui a contribué à atténuer les craintes liées au changement.
Le deuxième exemple concerne l’importance de la participation citoyenne dans l’innovation. A l’initiative du gouvernement français des forums citoyens ont été organisé et réunissaient des centaines de personnes, y compris des artistes, pour générer des idées novatrices. Cette approche démontre l’engagement envers une démocratie participative et l’implication des citoyens dans le processus d’innovation.
Ce qui me passionne le plus dans l’innovation, c’est lorsque on va réellement toucher les gens au plus près, les initiatives empathiques. Malgré les progrès réalisés dans la numérisation des processus, le retour à une véritable démocratie participative reste un défi majeur pour les années à venir. D’où l’importance de l’innovation centrée sur les besoins des citoyens et de l’implication active de ces derniers dans le processus d’innovation publique.
Un projet ambitieux à grande échelle un « moonshot ». Est-ce que c’est nécessaire selon vous pour progresser ?
Alain : C’est important de viser des objectifs audacieux pour stimuler l’innovation dans les services publics, mais il y a également de grands défis associés à de tels projets. J’ai quelques réserves quant aux “grands moonshots”, je crains qu’ils ne soient trop lourds et qu’ils prennent trop de temps pour se concrétiser. Je préfère des initiatives plus petites, avec des échéances définies, permettant une approche plus agile et concrète.
C’est essentiel d’être pragmatique et réaliste dans la définition des objectifs d’innovation, en tenant compte des contraintes et des dynamiques propres au contexte belge.
Abderrahim : Pour moi, avec les défis spécifiques liés à la réalité institutionnelle belge, où la coordination entre les différents niveaux de gouvernement peut être complexe, c’est essentiel d’être pragmatique et réaliste dans la définition des objectifs d’innovation, en tenant compte des contraintes et des dynamiques propres au contexte belge. Il est important de montrer des succès concrets pour susciter l’adhésion et l’engagement, tout en reconnaissant que l’innovation nécessite un équilibre entre ambition et réalisme.
De quoi avez- vous besoin pour accélérer et améliorer l’innovation ?
Alain : Nous avons besoin d’apporter de nouvelles perspectives en recrutant du personnel plus jeune, dynamique et non encombré par les contraintes institutionnelles et les processus traditionnels. C’est important cette jeunesse pour insuffler de nouvelles énergies et encourager un esprit de créativité et d’innovation. C’est important d’avoir comme un vent de jeunesse pour secouer un peu le cocotier.
Abderrahim : Nous avons aussi besoin d’un management de l’innovation (Innovation leadership), composé de personnes qui comprennent les enjeux et le potentiel de l’innovation. Il y a un manque de compréhension de l’innovation au sein de la hiérarchie et c’est important d’avoir des gestionnaires qui soutiennent et dirigent activement les initiatives d’innovation. L’engagement financier est essentiel, mais il doit être soutenu par une compréhension et une adhésion au potentiel de l’innovation pour véritablement progresser.
L’innovation n’est pas simplement un concept magique, mais plutôt un métier nécessitant une stratégie claire et des compétences spécifiques.
L’innovation n’est pas simplement un concept magique, mais plutôt un métier nécessitant une stratégie claire et des compétences spécifiques. C’est important de donner du contenu et de montrer concrètement ce qu’est l’innovation, comme on l’a fait lors d’une présentation au sein de l’administration. Cela a été perçu comme une bouffée d’oxygène, mais la question se pose alors : comment démultiplier ces initiatives et les faire connaître davantage ?
Alain : Il est nécessaire d’accompagner les démarches d’innovation, car elles ne sont pas toujours prioritaires dans un contexte où les objectifs et le budget priment souvent. Il est nécessaire de créer plus de tribunes et de relais pour promouvoir l’innovation au sein des institutions. Cela pourrait impliquer une approche à la fois bottom-up, en encourageant les initiatives individuelles, et top-down, en fournissant des canaux officiels pour partager les meilleures pratiques et les idées novatrices.
Pour Alain HUBERT et Abderrahim CHAFIK du Pôle Développement des Usages Innovants au SPW Digital, l’innovation consiste à essayer de nouvelles approches et à toujours placer les citoyens au centre de nos actions.
Trop souvent, au sein du gouvernement, nous nous perdons dans le processus. Il est important de surmonter ces obstacles pour favoriser un environnement propice à l’innovation dans le secteur public et de collaborer, y compris avec des partenaires extérieurs.
Pour accélérer l’innovation, nous avons besoin d’un « Innovation leadership » : un management de l’innovation, composé de personnes qui comprennent les enjeux et le potentiel de l’innovation.