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De meilleures politiques publiques grâce à l’innovation

De meilleures politiques publiques grâce à l’innovation

Nido s’est entretenu avec Martin Ruebens, chef de projet Innovation dans le secteur public et initiateur du réseau INO au sein de l’Autorité flamande, sur l’essence de l’innovation, les défis du secteur public et la nécessité d’une nouvelle approche. Fort d’une vaste expérience, Martin explique la complexité de l’innovation et la voie vers une administration plus dynamique

par Nido

Martin, que signifie l’innovation pour vous ?

Martin: Pour moi, l’innovation n’est pas seulement l’adoption de nouvelles technologies, elle consiste aussi à repenser le rôle de l’administration. Nous devons cesser de supposer qu’en tant qu’administration, nous avons toutes les réponses aux problèmes de société. Le plus grand défi est d’oser accepter un autre rôle et d’impliquer activement les citoyens dans l’identification et la résolution des problèmes. Cela nécessite une évolution vers la collaboration et la participation.

Les approches traditionnelles de l’administration, comme l’achat de solutions ou l’octroi de subventions, ne sont plus adéquates dans un monde en constante mutation. Nous devons développer de nouveaux instruments et de nouvelles approches, comme des procédures de passation innovantes, afin de mieux répondre aux besoins de la société.

“L’innovation n’est donc pas qu’une question de technologie, il s’agit aussi de revoir notre façon de penser et d’agir en tant qu’administration, en accordant une place centrale à la participation et à la collaboration avec les citoyens.”

Pouvez-vous être un peu plus concret ?

Martin: Ces dernières années, l’Autorité flamande a appliqué des approches innovantes pour remédier à des problèmes sociaux, comme l’initiative « Iedereen Verdient Vakantie » (« Tout le monde mérite des vacances ») qui permet aux personnes en situation de pauvreté d’accéder à des vacances abordables. Cette initiative a rassemblé différentes parties prenantes, dont des organisations de lutte contre la pauvreté, le secteur de l’horeca et des pouvoirs locaux, afin de proposer des formules de vacances à prix réduits sans grande aide financière de la part de l’administration.

Cette approche de facilitation, plutôt que de subvention, a déjà permis à 100 000 personnes par an en Flandre de bénéficier de vacances abordables, mais d’autres approches de ce type sont les bienvenues.

Mon rêve est que l’administration se consacre davantage à la création de cadres et de possibilités au lieu d’offrir uniquement des aides financières. Bien que les moyens financiers soient plus limités, je pense que ce nouveau rôle peut avoir un impact tout aussi important, voire plus important encore.

L’adoption de cette approche demande néanmoins du courage.

“En tant qu’administration, nous devons oser admettre que nous n’avons pas toujours les réponses et être ouverts à la collaboration avec toutes les parties prenantes de la société.”

Quels leviers et obstacles voyez-vous dans le secteur public ?

Martin: Dans le secteur public, il y a aussi bien des leviers que des obstacles à l’innovation. Un obstacle majeur est la culture politique axée sur le profilage personnel et l’influence des réseaux sociaux, ce qui se traduit par une réflexion à court terme. C’est en porte-à-faux avec le besoin d’une administration qui se concentre sur les perspectives à long terme.

“La création d’une culture qui laisse de la place aux expériences et aux nouvelles idées est essentielle pour l’innovation.”

Heureusement, je vois aussi des évolutions positives. Je constate qu’il existe de nombreuses belles initiatives et qu’il y a des personnes qui osent embrasser de nouvelles idées. Cependant, beaucoup ignorent encore jusqu’où ils peuvent aller et dans quel environnement ils peuvent exprimer leurs idées. Le principal facteur d’une administration innovante consiste à offrir de l’espace aux collaborateurs pour exprimer des idées et dépasser le statu quo. Cela requiert un changement du style de management ; nous devons évoluer d’une culture de la maîtrise et de la peur de la critique vers une culture de l’expérimentation et de l’apprentissage. Heureusement, j’observe un changement générationnel en Flandre, ce qui offre de nouvelles opportunités pour une approche plus innovante au sein de l’administration.

Est-il temps de réaliser un nouveau « moonshot » pour accélérer l’innovation ?

Martin: En 2002, je faisais partie d’une équipe de projet pour une meilleure administration au niveau flamand, comparable à Copernicus. Et je me suis hélas heurté à une grande résistance au sein de l’organisation lors du déploiement de ce plan ambitieux. Je crois à présent davantage au changement qui se met progressivement en place et qui se répand comme une tache d’huile, au lieu d’un projet à grande échelle qui suscite de la résistance. Cela ne signifie toutefois pas que l’ambition doit être faible, mais plutôt que le mode d’approche est crucial. Par exemple, notre concept de « Civil Entrepreneur » gagne de plus en plus de soutien, car il offre un self-leadership aux fonctionnaires et remet en question la hiérarchie traditionnelle.

“Je plaide pour des structures de gouvernance légères et une approche axée sur la mobilisation de personnes qui croient en une autre approche, au lieu de grands projets impliquant une gouvernance lourde.”

C’est un moyen durable de provoquer le changement.

De quoi l’Autorité flamande a-t-elle besoin pour stimuler l’innovation ?

Martin: En Flandre comme ailleurs, il existe de nombreuses initiatives sensées en matière d’innovation au sein de plusieurs domaines politiques. Toutefois, ces trajectoires se croisent trop peu souvent. Il y a un besoin de collaboration interne encore non satisfait. Dans la préparation du nouvel accord de gouvernement, les souhaits sont regroupés, mais il manque des plans concrets pour une collaboration entre domaines.

La plateforme INO s’est avérée très efficace pour rassembler des personnes qui ne se seraient autrement jamais rencontrées, ce qui a débouché sur de nouveaux partenariats et un échange de connaissances. Le potentiel de rassemblement du réseau est énorme, je l’avais sous-estimé. La prise de contact n’est que la première étape ; la collaboration est l’étape cruciale suivante. Il est important de miser sur l’échange permanent d’idées et sur les trajectoires en cours pour créer des synergies.

“Je crois fermement en la force de la collaboration pour parvenir à une administration plus innovante.”

Notre initiative INO nous a appris qu’il n’existe pas de solutions prêtes à l’emploi ; tout est une question de bon sens et d’ouverture d’esprit. Le management doit encourager les collaborateurs à participer à des réseaux et à écouter les autres, ce qui peut offrir des avantages inattendus.

Merci, Martin, pour le partage de vos idées et expériences approfondies.

Martin Ruebens

Notre entretien avec Martin montre clairement que l’innovation au sein de l’administration est un processus qui présente de multiples facettes, où la réinvention des modes de pensée traditionnels et la stimulation de la collaboration occupent une place prépondérante. En assumant un autre rôle, plutôt facilitateur, l’administration peut endosser pleinement son rôle de moteur du changement positif.