L’innovation n’est pas une option, c’est une nécessité
Dans cette interview, Carolien Sonck, manager des services de soutien au SPF Santé publique, présente sa vision de l’innovation, en mettant l’accent sur les attitudes entrepreneuriales qui s’épanouissent dans une culture de l’audace et de l’ouverture aux questionnements. Découvrez comment Carolien s’efforce d’élargir les règles du jeu et souligne l’importance de la collaboration pour accélérer les progrès.
par Nido
Pour aller droit au but, que signifie l’innovation pour vous ?
Carolien: Pour moi, l’innovation commence par oser initier le changement, poser des questions critiques et créer de la valeur ajoutée pour les utilisateurs finaux, en particulier les citoyens et les entreprises.
Nous devons oser sortir des sentiers battus, relever des défis et envisager des améliorations, même pour des choses apparemment simples. L’innovation consiste à trouver des solutions plus efficaces et à accepter le renouveau.
Il est essentiel que l’innovation ne soit pas considérée comme un simple coût ou attribuée uniquement aux technologies de l’information.
“Nous devons oser sortir des sentiers battus et relever les challenges.”
L’innovation n’est pas perçue comme un simple coût… Vous avez une formation en économie, n’est-ce pas ?
Carolien: En effet, j’ai étudié les sciences économiques et je me suis spécialisé dans le marketing. Je suis donc une bonne commerciale (rires). De plus, étant donné que j’ai grandi dans une famille avec des parents indépendants, la prise de risques calculés est inscrite dans mes gènes. Il ne s’agit donc pas seulement de gérer les coûts, mais aussi de gérer les risques et d’adopter les bonnes attitudes. Parfois, les choses échouent, mais cela fait partie de l’audace et l’on apprend beaucoup de cette expérience. Ce sont des attitudes que j’encourage également dans mon équipe : faire preuve de courage et avoir le cran d’expérimenter et de faire des erreurs. De plus, il faut toujours commencer petit. Si vous changez quelque chose pour 1 500 employés et que cela échoue, les conséquences seront évidemment importantes.
Vous avez beaucoup d’expérience dans le secteur public, 17 ans pour être exact. Quels sont, selon vous, les moteurs et les obstacles à l’innovation dans le secteur public ?
Carolien: Le budget est à la fois une incitation et un obstacle. Nous devons faire des économies, ce qui peut alimenter l’innovation et conduire à des opérations plus efficaces, mais en même temps, les gros investissements sont souvent découragés. Ensuite, lorsqu’un dossier est présenté avec un budget important, il finit souvent à la poubelle faute de ressources budgétaires et de retour sur investissement (RSI) mesurable.
À mon avis, nous devons élargir le champ d’action de l’innovation et ne pas nous concentrer uniquement sur les grands projets coûteux. Une approche de type “bac à sable” peut permettre de réaliser de petites expériences, d’évaluer minutieusement les coûts et les avantages et d’étendre les innovations réussies à des applications plus vastes.
“La nécessité de faire des économies nous oblige à penser différemment et à fonctionner de manière plus efficace.“
En outre, les nouveaux employés apportent de nouvelles perspectives et osent remettre en question les méthodes de travail, ce qui stimule l’innovation. Ils me semblent être une force motrice potentielle si nous leur donnons cet espace au sein d’une culture plus large de l’audace et de la remise en question.
L’essor de l’IA est également considéré comme un catalyseur, mais il nécessite une approche stratégique. Les citoyens attendent des pouvoirs publics qu’ils suivent les tendances sociétales et fassent preuve d’innovation. Ils veulent des services modernes et conviviaux, ce qui met la pression sur les administrations pour qu’elles suivent le mouvement.
En parlant d’obstacles… (soupir) la bureaucratie en est certainement un.
Où voyez-vous cette bureaucratie ?
Carolien: Il suffit de penser aux marchés publics. Nous venons de commencer à travailler avec une entreprise, mais cela nous a demandé énormément d’efforts. Nous avons dû lancer et attribuer des spécifications pour notre projet d’innovation sur “l’organisation basée sur les compétences”, ce qui a pris énormément de temps. Il y a eu beaucoup de problèmes tout au long de la procédure et il a fallu beaucoup de temps et d’efforts pour tout mener à bien.
Je vois souvent des collègues qui veulent faire quelque chose de nouveau ou essayer une méthode différente, mais ils sont découragés par les inspecteurs des finances ou les règles de sécurité qui sont appliquées de manière très stricte. Cela freine malheureusement l’innovation. Il est compréhensible que de nombreuses personnes se disent alors “j’abandonne”.
Ce projet d’innovation a-t-il un lien avec le projet du SPF BOSA sur les “compétences à l’épreuve du futur” ?
Carolien: Absolument. Ce challenge nous a beaucoup inspirés. Nous avons beaucoup appris, y compris de vos erreurs, si je puis dire. Nous allons pouvoir nous appuyer sur vos expériences pour aller plus loin.
Nous espérons maintenant qu’en la mettant en œuvre chez nous, d’autres organisations pourront également en tirer des enseignements. Pour moi, la coopération entre les organisations gouvernementales est cruciale dans cette histoire. Malheureusement, elle est encore trop rare. Nous sommes encore trop enfermés dans nos propres cases, à la fois entre les organisations et au sein de celles-ci. Nous devons vraiment briser cela.
Je suis heureux d’apprendre que vous continuerez à travailler sur ce thème après cette expérimentation !
“Une culture de collaboration et un espace propice à l’expérimentation sont essentiels pour innover dans l’administration – nous devons nous éloigner de la bureaucratie et encourager les dirigeants à prendre l’initiative du changement.”
Selon vous, les managers et les employés sont-ils suffisamment incités à innover ?
Carolien: En fait, pas vraiment. Nous avons besoin de plus d’incitations pour encourager les comportements innovants. Le Prix de l’Innovation Fédérale était une bonne initiative, car il crée une certaine concurrence entre les organisations, nourrit les ambitions et rend les gens fiers lorsqu’ils remportent un tel prix. Les personnes qui innovent aiment que leurs efforts soient reconnus, par exemple par un prix ou une tape dans le dos.
Quelles sont les initiatives innovantes au sein du gouvernement qui vous inspirent ?
Carolien: Honnêtement, je vois encore trop peu de projets innovants dans l’administration. Je trouve cela dommage. Notre SPF était considéré comme moderne, mais aujourd’hui nous avons l’impression d’être à la traîne parce que je pense que nous avons mis trop peu d’énergie dans l’innovation. C’est pourquoi l’un de nos objectifs pour les années à venir est de nous concentrer davantage sur l’innovation, en dehors des technologies de l’information. Nous lançons un programme de leadership dans le cadre duquel des modules seront proposés pour souligner l’importance de l’innovation pour les cadres, qui devraient en fin de compte fournir les ressources et les incitations nécessaires à l’innovation.
Quelles sont donc les compétences dont vous avez besoin en tant que manager pour faciliter l’innovation ?
Carolien: Les managers doivent être ouverts aux nouvelles idées, créer un environnement sûr où l’expérimentation est encouragée et donner aux employés le temps de réfléchir et d’innover.
Enfin, pensez-vous qu’un ambitieux “moonshot” soit nécessaire pour aller de l’avant ?
Carolien: Un “moonshot” semble utile pour avoir un objectif global, mais ne l’interprétons pas comme la mise en place de programmes ou de projets gigantesques. Il s’agit plutôt d’une vision, comme celle d’un gouvernement transparent où même les plus petites initiatives y contribuent. La collaboration autour d’un objectif commun est essentielle. L’initiative Only Once, qui demande aux citoyens de ne saisir leurs données qu’une seule fois, en est un bon exemple.
Le passé nous a appris que les grands projets sont souvent voués à l’échec. L’énergie que nous y consacrons, souvent principalement pour les gérer, n’aboutit généralement pas au résultat escompté. Les initiatives à petite échelle, partant de la base, sont souvent plus efficaces, à mon avis.